COMPTE RENDU DE LECTURE

10/2018

 

LA RESISTANCE FRANCAISE A BUCHENWALD

 

Références : Olivier Lalieu, Ed. Tallandier, 2005 et 2012, Coll. Texto Le goût de l’Histoire. Préface de Jorge Semprun

(Cet ouvrage a notamment servi à contextualiser la biographie de Marcel Rabjeau dans le fascicule que lui a consacré le COMRA)

 

            Cet ouvrage est d’un intérêt exceptionnel à plus d’un titre. Son auteur d’abord : Olivier Lalieu, spécialiste de la déportation pendant la Seconde Guerre mondiale et éminent historien au Mémorial de la Shoah à Paris. Son sujet ensuite : le fonctionnement du camp de concentration de Buchenwald et l’organisation spécifique de la résistance française à l’intérieur.

            Rarement un livre d’historien de cette période a atteint un tel degré de rigueur dans les recherches d’archives, de compétence dans les connaissances et de clarté dans l’énoncé.

            Buchenwald est un camp de concentration atypique dans la mesure où des réseaux de résistance a priori hostiles-gaullistes et communistes, athées et croyants-ont œuvré de concert pour résister contre les criminels hitlériens alors que les massacres, la maladie, la famine, la mort multiforme composaient le paysage tragique de chaque jour pour ces martyrs. Le camp fut en outre en partie libéré par les prisonniers eux-mêmes avant l’arrivée des Américains.

 

            Si c’est aussi cette odyssée héroïque que relate minutieusement le livre, c’est surtout le fonctionnement du système concentrationnaire allemand qui est passé au crible : en quoi consistait l’univers de Buchenwald ? (création du camp, les premières années, composition de la population incarcérée, les rapports de force entre « rouges » et « verts » », la stratégie de survie, une journée typique). 

L’auteur brosse ensuite, bien sûr, le portrait de deux chefs résistants à la personnalité exceptionnelle que rien, en principe, n’aurait dû rapprocher : les fondateurs du Collectif français, Frédéric-Henri Manhès et Marcel Paul, le militaire gaulliste et le militant communiste. Ils organisèrent conjointement et efficacement la résistance tout en donnant magistralement le change à leurs bourreaux puisqu’ils surent administrer en grande partie le camp en gérant les blocks et les kommandos, en éliminant les kapos. Aucun autre lager ne connut une organisation plus structurée.

            L’ouvrage éclaire donc tous les aspects de la vie au camp, notamment la façon dont les plus conscients des prisonniers soutenaient le moral des plus faibles, luttaient contre les coups, disciplinaient les individualités, élaboraient la solidarité, pratiquaient le sabotage.

             A la Libération, Paul et Manhès fondèrent la F.N.D.I.R.(Fédération nationale des déportés et internés de la Résistance) et s’engagèrent à transcender leurs divergences politiques pour promouvoir les valeurs humanistes et universelles que leurs luttes communes avaient permis de mettre au jour, en fait celles inscrites dans le programme du C.N.R. et assez vite oubliées et trahies. Quoi qu’il en soit advenu, l’exemple de Buchenwald démontre que le nazisme a été incapable d’anéantir complètement la dignité humaine : ceux qui vivent sont bien ceux qui luttent, comme le pensait Victor Hugo.

            Ce livre abonde en références bibliographiques, en sources (archives écrites et orales, témoignages, entretiens). C’est une étude érudite, certes, mais à la lecture aisée qui permet de mieux maîtriser un sujet riche et complexe. Surtout, elle fait appel à notre réflexion, en nous fournissant des faits précis et avérés (sans passer sous silence cependant les polémiques possibles), et à notre émotion à l’évocation de ces deux figures exemplaires, Paul et Manhès, qui, pendant un temps trop court hélas ! firent croire aux héroïques résistants et à leurs descendants reconnaissants que l’heure était enfin venue de mêler, dans la paix revenue, les efforts de tous les combattants d’hier pour l’émancipation des générations futures.

 

 

Daniel Desponts